En politique, la politesse c’est comme le cirage sur des chaussures usées: ça ne change pas la démarche, mais ça évite les éclaboussures. Malheureusement, tout comme on préfère aujourd’hui les baskets à lacets défaits, mon bon Monsieur, elle se perd…
Un Nicolas Sarkozy qui, en visite en Allemagne, parle de « Monsieur Merkel » à sa présumée épouse et chancelière, alors que nul époux ne répond à ce nom ; un jeune chargé de mission qui, seul au milieu de ses collègues en rang d’oignons, se fend d’un impromptu baise-main à une Danielle Mitterrand peu accoutumée à la chose, et qui, faute de contrôler la dynamique des gestes, si l’on peut dire, se récolte une main dans le nez ; la présidente de l’Assemblée nationale qui, le 6 février dernier, victime d’un cerveau dont on ne saurait dire s’il est binaire ou primaire, commet un sacré ou, plutôt, très laïque lapsus, en évoquant, lors d’un colloque consacré au Proche-Orient, les « talibanais », voilà des exemples de fautes à cheval sur le savoir-vivre, la civilité et la politesse, toutes notions qui se recouvrent et dont l’étude et l’application, contrairement à ce que l’on pourrait supposer de prime abord, relèvent plus de la science exacte que de l’art.
Chose au monde de moins en moins partagée
C’est l’enseignement que nous retirons de ces deux précis de composition (au sens où l’on sait que l’on doit ‘‘se composer’’ une attitude, une manière d’être, de dire et de faire, selon les lieux, les pays, les circonstances et les gens à qui l’on a à faire).


« Il est poli d’être gai » prétendait Voltaire. Si la gaité ne doit pas nécessairement être considérée comme une composante intrinsèque de la politesse, pour le moins, au contraire, pouvons-nous estimer indispensable que l’homme politique, plus largement, l’homme du politique (l’éminence grise, le diplomate tout autant que le député d’une circonscription ingrate) soit pénétré de l’intérêt qui est le sien (et de ses ouailles) d’être, en tous ses agissements, empreint de componction et de ce vernis de politesse qui, à la longue, deviendra une seconde nature.
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Il se déduit de l’origine très peu rousseauiste du mot « politesse » que cette dernière n’est pas naturelle à l’homme « républicain », pétri de la vertu d’égalité et de transparence démocratique. En effet, étymologiquement parlant, nous enseigne le lexicologue Jean Pruvost, cette fameuse politesse, qui devient chose au monde de moins en moins partagée (parce que plus guère inculquée), « correspond au fait de passer au fouloir une étoffe usagée pour la remettre à neuf (…). D’où l’idée de falsification. » Cette politesse n’est donc nullement naturelle à l’homme. Elle répond à l’ « état de culture », s’apprend et s’entretient. A l’état brut, si l’on ose s’exprimer ainsi, elle est feinte, artificieuse ; tout l’art du bon homme poli consistera à donner une patine de « vieilli », de douceur et de naturel à ce qui ne l’est donc point. En son origine, la politesse est donc d’ordre artisanal et a ainsi partie liée avec le façonnage, le « fait main », les bonnes et mauvaises façons et manières, la contrefaçon. Sans surprise, on apprend que cette politesse s’épanouira au XIVème siècle, en Italie, en tant que synonyme de propreté physique pour s’élargir, toujours florentine et romaine, à celui du « raffinement d’une œuvre d’art ou littéraire ». En une juste extrapolation, pouvons-nous de la sorte estimer qu’encore de nos jours, un ouvrage comportant de nombreux mots imprimés en italiques traduit (sans, ainsi, directement l’exprimer) un propos d’une subtile politesse.
Visage poli
Ce n’est qu’au début du règne du Grand roi (que nous ne saurions, sauf à commettre l’impolitesse qui consisterait à sous-estimer la culture historique de nos lecteurs, désigner plus avant) que le terme prendra l’acception – dont on ne sait si elle est encore vraiment d’actualité – de qualité «nécessaire dans le commerce des honnêtes gens », une qualité, précise-t-on, qui les « empêche d’être choqués et de choquer les autres par de certaines façons de parler trop sèches et trop dures, qui échappent souvent sans y penser (…) ». Où l’on retrouve cette idée que l’homme poli par excellence est celui dont l’enveloppe est semblable à cette pierre au fond de la rivière, tellement polie par les ans et par les eaux que sur elle tout glisse et qu’ainsi vous ne serez pas susceptible d’être blessé…
Il est vrai qu’il ne faudrait tout de même pas pousser trop loin la métaphore car, à force de montrer un visage poli, de faire montre de politesse, on risque de ressembler au savon qui vous glisse entre les doigts, qui vous échappe, on risque de se faire percevoir insaisissable, ce qui pourrait bien être une forme, et non des moindres… d’impolitesse.
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Science toute humaine tout autant qu’art, on pourrait dire de la politesse ce que Napoléon Ier disait de la guerre, qu’elle est un art tout d’exécution, – ce qui nous semble synonyme : d’adaptation. Pour trancher – manière de parler car, en la matière, à l’échelle des siècles, rien n’est arrêté ! – de certains points litigieux, touchant par exemple aux vins, au baise-main, à l’emploi de certains termes plutôt que d’autres, on s’en remettra à la brochure d’Alix Baboin-Jaubert publiée, est-il écrit sur la première de couverture, par un « éditeur de qualité depuis 1852 ». Comme dirait l’autre, on n’est jamais aussi bien poli que par soi-même.

Cela dit, on regrette de ne pouvoir ici s’étendre plus sur les dégâts contemporains de l’impolitesse, d’en dresser une sorte d’état des lieux (lieux communs compris !) illustrés de faits inédits tirés et recensés de l’actualité politique contemporaine ou lointaine, intérieure ou étrangère. On en aurait déduit que la politesse, pour être complète, ne doit pas seulement gouverner nos faits et gestes mais qu’elle doit animer jusqu’à nos pensées, et, mieux, notre impensé. C’est à cette condition, comme nous l’envisagions à l’orée de cet articulet, qu’en application de la fameuse exclamation de Buffon, Le style, c’est l’homme même ! , elle pourrait nous devenir naturelle.
En attendant (d’y parvenir), il est peut-être un moyen d’y suppléer, c’est d’initier, d’encourager et favoriser cette politesse du cœur que développe sur douze pages Jean Pruvost et contre laquelle la très humaine et très évangélique Alix Baboin-Jaubert ne saurait s’inscrire en faux. A cette provenance-là de la politesse, on acquiescera, car elle permet non seulement de ne pas faire de faux pas, mais, en outre, l’amour-propre même s’en satisfera puisque l’exercice de cette ‘qualité d’âme’ est en définitive une mise en application du mot de Marcel Proust, lequel soutenait que « le comble de l’intelligence, c’est la bonté. »
Jean Pruvost, La Politesse – Au fil des mots et de l’histoire, Tallandier, 317 p.
Alix Baboin-Jaubert Bonnes manières et politesse, Larousse, 64 p.
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